Comment rendre compte de ses actions et fidéliser son audience en tant que collectivité ?

Interview réalisée par Tania Messaoudi, Directrice éditoriale (Ultramedia)

Pour les collectivités, rendre l’action publique visible auprès du grand public est un défi quotidien. L’information doit être claire, accessible…et intéressante aux yeux des administrés, pour leur donner envie d’être acteurs de leur territoire. Pas toujours facile avec une audience particulièrement hétérogène ! Car il s’agit de capter à la fois l’attention des jeunes, des familles, des seniors, des étudiants, des dirigeants d’entreprise, et de les informer sur des sujets parfois complexes.

Rencontre avec Benjamin Teitgen, Directeur de la communication du Département d’Ille-et-Vilaine.

La communication publique a beaucoup évolué ces dernières années, avec des administrés qui s’informent de plus en plus sur le site internet et les réseaux sociaux des collectivités. Cela a-t-il changé votre façon de vous adresser à vos audiences ?

Benjamin Teitgen – L’audience s’informe de plus en plus en ligne, mais deux éléments doivent pondérer cette information :
- sur les réseaux sociaux, le flux est tel et les algorithmes sont conçus de telle manière que je suis de moins en moins convaincu par la visibilité des collectivités. On est vu, mais une bonne partie de ce que l’on dit “n’imprime” pas. C’est la raison pour laquelle, selon moi, c’est une erreur stratégique de concentrer sa stratégie de communication sur les réseaux sociaux lorsque l’on est une collectivité.
- pour ce qui est du site internet, les gens s’y rendent en grande majorité car ils recherchent une information précise et rapide, comme les horaires d’une structure ou comment effectuer une démarche en ligne par exemple. Mais ils n’y vont pas pour lire l’actualité de leur collectivité. C’est pour ça que le département d’Ille-et-Vilaine a développé une marque media, Nous Vous Ille, avec un magazine bien identifié, assorti d’un site internet, de vidéos, d’un podcast et d’une newsletter. Tout ces supports n’ont de sens que s’ils s’articulent autour du magazine papier. Toutes les enquêtes le montrent : pour nos audiences et sur nos sujets, le format papier est le plus lu. Ce support reste donc la pierre angulaire en communication des collectivités. Mais on ne peut pas pour autant être absent du web et des réseaux sociaux.

Les supports traditionnels (magazines, journaux, télés locales) continuent d’exister parallèlement à cette communication digitale. Comment faire cohabiter les différents supports ?

Benjamin Teitgen – Pendant des années, on a dit “le numérique va tuer le papier”. Je pense le contraire : plus on développe le numérique, plus on renforce le papier, car on repositionne le papier sur sa vraie valeur ajoutée.
Le numérique nous sert à nourrir le flux, donner de l’information du quotidien, partager les infos urgentes, alors que le magazine trimestriel a une vocation plus pédagogique, il permet une prise de recul. Les supports ont leur existence propre, mais ils viennent s’enrichir les uns les autres.
De fait, à chaque cible correspond un support. Si on s’adresse aux collégiens, ce n’est pas via le magazine Nous vous Ille mais plutôt via TikTok, Instagram, Youtube, et directement dans les collèges.
 
La communication publique est une communication d’intérêt général, essentielle au fonctionnement de l’action publique. Pour autant, elle inclut une dimension politique, mais ne doit pas être partisane. Comment assurer la neutralité de l’information ? 

Benjamin Teitgen – C’est un problème seulement si l’on confond politique et partisan. La communication publique est politique par définition, dans le sens où notre mission est d’informer sur des actions, de faire de la pédagogie sur des politiques publiques au service des habitants, qui ont été définies par des personnes élues sur leur programme et leurs valeurs politiques.
Pour autant, nous ne sommes pas partisans. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que l’on ne fait pas la communication des élus, mais celle de l’action publique.
 
Quels sont pour vous les sujets les plus “complexes” et comment faites vous pour les rendre plus accessibles au grand public ?

Benjamin Teitgen – Les départements sont l’échelon des solidarités individuelles. 70% du budget est consacré à l’action sociale (maintien à domicile, enfance, handicap…). La protection de l’enfance, le non-recours au droit, le RSA… Autant de sujets sensibles, qui relèvent de l’intime, et qu’il faut manier avec beaucoup de précautions. On a par exemple vocation à expliquer tout ce qu’on fait pour les personnes au RSA pour les remettre sur les chemins de l’emploi, qu’ils s’agissent de dispositifs d’hyperproximité comme l’aide au permis, ou l’apprentissage du vélo. Ces actions passent par des ateliers organisés pour participer à la reprise de confiance en soi et donner les clés pour se déplacer, pour aller au travail. Mais quand on se rend à ces ateliers avec une caméra ou un appareil photo, c’est plus compliqué. Sur ces sujets, nous avons eu l’idée de développer un podcast qui simplifie les échanges. Les participants ne montrent pas leur visage : ils donnent simplement un prénom, et le format témoignage passe par une discussion au long cours qui crée un lien de confiance et libère la parole.
Nous avons d’autres sujets complexes, avec les collégiens notamment, comme l’éveil à la sexualité, les règles, les relations filles-garçons, le harcèlement. Nous avons des messages à transmettre et des services à apporter. Nous voulons aussi engager des discussions avec eux, sur leur vie, leurs problématiques, mais ce n’est pas simple. Pour ce faire, nous avons édité un guide papier avec un discours accessible, complété par des ateliers au sein des collèges. Nous réfléchissons aussi à de nouveaux formats numériques, sur Instagram, Youtube, et TikTok pour leur permettre de prendre la parole.
 
La communication prend tout son sens à partir du moment où elle touche son audience. Comment mesurez-vous l’impact de vos
prises de parole ?


Benjamin Teitgen – Pour le magazine, nous menons une enquête sur le lectorat, tous les 3 ans, pour savoir quels sont les sujets qui intéressent notre audience. Sur le numérique, on sait comment évoluent nos audiences sur le site et les réseaux sociaux.
Nous avons aussi accès à des courbes d’audience mais il y a une différence entre mesure et évaluation. Un tweet qui enregistre 10 000
impressions, c’est très bien, mais combien de personnes l’ont vraiment lu ? On subodore que c’est faible, mais on reste un peu prisonnier du fonctionnement des réseaux. La course à l’interaction ne peut pas se faire au détriment de l’information. En revanche, alterner l’information avec des posts plus “attractifs” permet d’être mieux mis en valeur par les algorithmes pour déployer nos messages à une plus large audience.
 
Selon vous, quels sont les défis qui vous attendent dans les mois, les années à venir, que ce soit en termes de support, de messages, de cibles…Et surtout, comment comptez-vous y répondre ?

Benjamin Teitgen – Le premier défi sera d’arriver à s’adresser aux plus jeunes générations, jusqu’à 40 ans. La cible collégiens/ado est un sujet à part entière, mais aussi la tranche 25/40 ans qui est très circonspecte vis-à-vis de la parole officielle, en particulier la parole politique. Retisser ce lien de confiance et redonner de la crédibilité à la parole publique est l’enjeu numéro 1 pour nous. Pour tenter d’y répondre, depuis 2 ans, nous avons instauré une dynamique de communication par la preuve. Nous ne sommes pas dans l’incantation : on communique sur des éléments factuels, avérés, opposables. Mais le chemin est long.
 

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