Communication post-RSE : opportunités et risques du discours de la marque « politique »

par Arnaud Saint Jean, directeur conseil associé

Trois ans après la reconnaissance du statut de société à mission, dans le sillage de la loi Pacte, et dans un contexte marqué par une succession de crises sanitaires, politiques et internationales, les marques sont toujours plus attendues sur des terrains inédits. Environnement et santé bien sûr, mais aussi sujets de société ou politiques… l’entreprise est sommée d’afficher ses convictions et de prouver ses engagements. Avec, en termes de perspectives narratives, autant d’opportunités que de pièges à éviter.

C’est une réalité largement documentée : oui, les consommateurs, désabusés vis à vis du monde politique, se tournent désormais vers les marques pour répondre aux défis environnementaux et sociétaux de notre époque. Dès 2018, 60% des Français sondés par l'Observatoire des marques dans la cité (1) pensaient ainsi que les entreprises ont un rôle plus important que les gouvernements dans la création d'un avenir meilleur, 74% des sondés estimant que les « hommes et femmes politiques n’ont plus de projet de société ».

Si les entreprises n’ont pas attendu ces dernières années pour s’inscrire dans des démarches responsables, l’avènement du statut de « société à mission », instauré par la loi Pacte de 2019, a marqué le début de l’ère « post-RSE ». Un nouveau chapitre dans lequel la philanthropie pure, l’engagement de compensation ou de réparation, ou le financement d’initiatives solidaires ne suffisent plus.

Entreprises à impact, entreprises contributives, entreprises à mission… les qualificatifs choisis varient, mais elles sont de plus en plus nombreuses à revendiquer ce nouveau statut.

L’avènement de l’entreprise politique ?

« Ce rôle élargi souhaité et désormais légalement reconnu de l’entreprise peut-il aller jusqu’à en faire un acteur politique à part entière ? s’interrogeait la Fondation Jean Jaurès, dans le cadre d’une étude menée en mai 2021 avec l’IFOP(2). L’entreprise peut-elle jouer un rôle déterminant dans l’avancée de différents enjeux, au même titre que l’État, les associations ou les citoyens ? ».

Les pionniers d’une vision post-RSE de l’entreprise répondront par l’affirmative. « Aujourd’hui l’entreprise est sommée de devenir un acteur politique, c’est à dire d’avoir un impact positif sur la Cité », écrit ainsi Pascal Demurger, Directeur général de la Maif dès les premières pages de son livre L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera pas(3). Un ouvrage dans lequel il théorise sa vision de l’entreprise politique : une organisation qui ne se limite pas à se conforter au bien commun, de limiter les dégâts ou de les compenser ; mais qui positionne l’impact sociétal comme moteur premier de son activité : « il ne s’agit plus de mettre en place, en marge de notre métier, des actions en faveur de causes sociales ou environnementales. C’est bien, mais insuffisant. Il s’agit d’exercer notre métier lui-même en poursuivant prioritairement cet objectif de bien commun et en étant, de ce fait, encore plus performant. »

Récit de l’entreprise politique, ou la tentation du marketing de l’engagement

Affinitaire et engageant par définition, le terrain politique offre de nouveaux horizons pour le récit de marque. Avec autant de perspectives attrayantes que d’impasses dans lesquelles se perdre.

C’est l’avertissement lancé par la journaliste Anne de Guigné dans son récent ouvrage Le capitalisme woke, quand l’entreprise dit le bien et le mal(4) : « Sous la pression de la société civile, l'entreprise privée (…) s'est engagée dans la grande marche vers le bien, embrassant tous les combats de l'époque. Soumise aux contradictions de consommateurs qui attendent d'elle des "messages", l'entreprise s'engage pour le meilleur et pour le pire en politique. »

Et de rappeler quelques exemples récents de prises de position incontrôlées, comme Nike communicant massivement en faveur du mouvement #blacklivesmatter tout en finançant des actions de lobbying contre un texte du Congrès américain sur le boycott des entreprises travaillant avec des fournisseurs qui utilisent des travailleurs forcés ouïgours.

Le risque du washing et la peur du bashing

Sur le terrain des convictions politiques apparaît en effet, pour les marques, le spectre d’un nouveau type de washing : le purpose washing ou virtue signalling (vertu ostentatoire). Car, pour rester dans les anglicismes, prêter le flanc au bashing en tout genre est bien un risque majeur à anticiper pour les entreprises qui affichent leurs engagements politiques. Et ce, pour deux raisons.

La première, c’est que si l’opinion se montre toujours plus exigeante envers les entreprises, elle demeure soupçonneuse a priori : 75% des Français se disent ainsi méfiants envers les engagements affichés par les entreprises et 67% déclarent difficile de distinguer celles qui sont vraiment responsables des autres, selon une enquête Harris Interactive de février 2022 pour le mouvement Impact France(5).

La seconde, c’est qu’une entreprise qui prend publiquement position sur des sujets sociaux, environnementaux ou plus globalement politiques, doit s’attendre à ce que son exemplarité soit scrutée dans le moindres détails. À l’heure du fact checking instantané, aucune tâche ne restera invisible. D’ailleurs, s’ils en reconnaissent les opportunités, les communicants redoutent tout autant les risques liés au récit d’engagement. « Le bashing est un frein redoutable pour trouver le bon territoire de communication et les bons leviers d’influence », explique ainsi Karine Tisserand, Directrice du Club des Annonceurs(6). Sur 408 professionnels du marketing interrogés en 2020 par Cision et le Club des Annonceurs(7), la moitié se montre ainsi fataliste, estimant que le bashing est inévitable.

Le discours de la preuve, seul, ne suffit plus

Alors, comment minimiser les risques ? Par un discours de la preuve, évidemment. Apporter des illustrations concrètes et vérifiables de ses engagements apparaît comme une démarche éditoriale incontournable. Mais loin d’être suffisante.

Car avant même de prendre la parole, il s’agit de se prêter à un travail profond d’introspection : audit minutieux des pratiques métiers, des relations fournisseurs, du climat social ; relecture de l’historique récent, des prises de position et engagements des dirigeants ; mais aussi « vertu » des partenaires et fournisseurs... Les angles morts doivent être traqués dans chaque recoin de l’écosystème de l’entreprise. D’où la création de plus en plus courante de comités des parties prenantes dans de nombreuses sociétés à mission.

Il convient ensuite d’identifier avec justesse les territoires d’expression envisageables pour la marque – en lien avec ses engagements – en les balisant autour de 3 notions fondamentales : la légitimité, la crédibilité et l’exemplarité.

Enfin, la marque devra s’assurer avant tout d’embarquer solidement ses collaborateurs, sans rechercher ostensiblement à en faire des ambassadeurs actifs. Un travail de fond, qui nécessite transparence et pédagogie en interne, pour donner du sens à cette démarche ; et volonté d’approche contributive, pour que chacun puisse participer au récit collectif à son niveau. Un effort que l’entreprise doit accepter d’inscrire dans un temps long. Tout comme elle devra assumer la surexposition inévitable qu’induit une prise de parole forte autour de sujets d’engagements.

Mais si ses combats sont murement réfléchis et profondément ancrés dans son identité, ces contraintes ne sauraient représenter un frein majeur ; simplement le fil rouge d’une stratégie éditoriale qui pourrait s’inspirer de la célèbre formule : Don’t talk, just act. Don’t say, just show. Don’t promise, just prove.

 

(1) Observatoire des marques dans la cité : https://havasparis.com/lobservatoire-des-marques-dans-la-cite-les-francais-appellent-de-leurs-voeux-les-entreprises-a-mission
(2) https://www.jean-jaures.org/publication/le-role-politique-des-entreprises/?post_id=14502&export_pdf=1
(3) L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera pas – Pascal Demurger – ©Éditions de l’Aube – ISBN 978-2-8159-3268-4
(4) Le capitalisme woke, quand l’entreprise dit le bien et le mal – Anne de Guigné – ©Éditions Presses de la Cité – ISBN 978-2-258-19791-6
(5) Enquête Harris Interactive « Les Français et les entreprises engagées » février 2022 : http://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2022/02/Rapport-Harris-Les-entreprises-engagees-Impact-France.pdf
(6) https://www.larevuedudigital.com/etre-une-entreprise-engagee-les-marketeurs-sattendent-a-du-bashing-quoiquils-fassent
(7) Cision et le Club des Annonceurs : https://www.cision.fr/ressources/livres-blancs/etude-marketing-de-lengagement-nouvelle-strategie-de-marque-ou-reelle-transformation-de-lentreprise/

Retour en haut